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uNE HISTOIRE  DE LA CHANSON

ENGAGÉe

   Barcelona, diciembre 2018.                    

                    Mari Carmen Ripollés       

pour

Mari Carmen Ripollés

EOI | Sants | Barcelona

Ce projet est né de l’amour, sans aucun doute. Un amour désintéressé en expansion, comme un univers créatif particulier qui a grandi en tissant des complicités et d’où émane une énergie qui fait vraiment du bien.

 

Si nous portons notre regard vers la genèse de ce projet, nous y trouvons une proposition linguistico-culturelle sur la chanson engagée française. Et en suivant un peu plus le fil, une motivation liée à la classe de FLE (français langue étrangère) conçue comme un espace où l’apprentissage déborde le domaine purement linguistique et où il existe un lien indissociable entre la langue et son contexte historique, social et culturel.

Voilà comment a germé “une histoire de la chanson engagée”, parce qu’ apprendre une langue étrangère ne peut en aucun cas être dissocié de porter un regard critique sur ce qu’elle représente. Et à partir de ce moment-là, la rencontre entre Mario Maeso et Álvaro Pérez en a été le maillon nécessaire.

 

Au répertoire radical, qui en termes angeladavisiens veut dire qu’il arrive à la racine du lien entre langue et pensée, viennent s’ajouter les arrangements musicaux, fusion interculturelle de voix, sons et rythmes, qui donnent de la force et de la couleur à la parole à travers les émotions. La revendication, modulée par les nuances musicales, est présente dans toutes les chansons :

“L’Internationale” évoque la Commune de Paris et la lutte de classes, mais au rythme du candombe elle pourrait parfaitement invoquer tous les Orphées noirs du monde prêts à sauver le genre humain de l’enfer des favelas ou cantegrils.

L’histoire de deux amants en temps de guerre voltige avec “les feuilles mortes”, la voix de Florence Osty nous transporte tandis que le violon de Mario Gulla nous rappelle l’origine hongroise de Kosma et nous remémore le destin tragique des tziganes dans les camps d’extermination nazis.

Avec “la mauvaise réputation”, la transgression libertaire de Brassens fait voler en mille éclats les conventions, attisée par le retentissement sonore du saxo de Leandro Guffanti.

“Les anarchistes”, c’est la chanson phare, l’emblème de la conscience collective de lutte pour la liberté et l’égalité, guidée par le rythme nostalgique et à la fois émancipateur de la chacarera la plus afro. Un cœur serré de ne pas savoir où reposent ceux et celles qui ont lutté et sont morts pour des idéaux sur le front d’Aragon, tous présents dans la voix d’Enric Hernáez chantant “si me quieres escribir”, un cri de douleur pour l’électrocution de Sacco et Vanzetti, condensé dans les pleurs du saxophone. Mais aussi l’espoir contenu dans la graine libératrice de ceux et celles qui nous ont précédés ; graine qui semble vouloir germer grâce à la chaleur réconfortante du chœur final de voix mixtes, dont celle, en relief, de Lisa Mc Connell, unies par des liens d’amitié et de solidarité.

La recherche d’un monde meilleur sans guerres, racisme ou autres discriminations pour des raisons de sexe, genre et espèce, et respectueux envers l’environnement ; voilà l’essence des cinq dernières chansons. Si nous les égrenons, en commençant par “parachutiste”, les dunes du Sahara algérien tanguent au rythme des tambours et de la clarinette et dessinent un paysage captivant où le sirocco murmure des histoires de sang et de censure – comme celle subie par la Bataille d’Alger de Pontecorvo –, où chaque graine de sable s’efforce de ne pas oublier cette page noire du colonialisme français.

Les tambours de “Lily” sont ceux des origines de l’Afrique, terre ou pays de la poussière, “Afarca”, en phénicien. Fille du peuple Afar, fleur du désert désireuse de liberté, Lily, guidée par la pulsion des rythmes du tambour, confronte ses rêves au racisme, l’exploitation, la lutte contre la ségrégation raciale pour, finalement, trouver la justice dans l’amour.

Dans “Miss Maggie”, la vigueur des percussions, la force du solo de saxophone et le claquement de doigts distille tout au long de la chanson la brutalité masculine et la morale guerrière concentrée dans la figure de “la Dame de Fer”; mais le contrepoint est fourni par l’hommage que Renaud rend aux femmes, sûrement dans un élan de faire prévaloir la conception du monde et de la vie par-dessus la question réductionniste et binaire du sexe-genre.

“La corrida” surgit comme une liturgie, dans le sens grec de devoir citoyen en faveur d’une cause; devoir de dénonciation de tout type de maltraitance animale véhiculée moyennant une question sous forme de psaume répétitif et insistant: est-ce que ce monde est sérieux? 

Pour finir, “l’hymne de nos campagnes” apparaît sous forme de cerise vitaliste et joyeuse sur le gâteau, le tocsin d’alarme dans la voix amie d’ Arthur Monniot, le besoin d’envisager la vie sous le prisme de la soutenabilité, mais avec un ton éloigné du fatalisme qui invite tout le monde à devenir caisse de résonance d’une juste cause.

 

Avec l’omniprésent tambour qui scande le rythme des chansons comme il pourrait scander celui de nos vies, “Une histoire de la chanson engagée” est un miroir qui nous interpelle et nous demande une réflexion sur des faits et des actes passés, impossibles à détacher du présent que nous vivons et du futur que nous voulons construire.

 

Ce petit grand joyau n’aurait pas pu voir le jour sans la générosité de ce tandem qui a su  emballer des gens de talent à collaborer de manière altruiste. Comme le fils de Lily, ce projet a la couleur de l’amour, contre lequel on ne peut rien… rien que tirer son chapeau. Toute mon admiration, mon respect et ma gratitude. 

 

Barcelona, desembre 2018.

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